La baie d'Algesiras est bordée d'installations
pétrochimiques : c'est laid et ça
sent mauvais.
Mais l'endroit est idéal pour étudier
la suite du programme : de nombreux voiliers candidats
au grand voyage, dont 5 ou 6 français,
sont mouillés là, et attendent le
bon moment pour traverser. A peine arrivés,
nous partons en annexe à la rencontre de
ces autres bateaux : Milo one, Bulle d'eau, Tamata,
Pollen, Taugle (nom qui fait bien rire les enfants!),
Bobola et son annexe Tamalou... nul doute que
nous recroiserons la plupart de ces bateaux plus
tard : quelle que soit la durée du voyage,
le programme à court terme est sensiblement
le même pour tous : Madère - Canaries.
Ensuite cela diverge : Cap-Vert - Brésil
pour les uns, Sénégal pour d'autres.
Nous en rediscuterons pendant tout le séjour
à Gibraltar, mais notre décision
est déjà prise : nous irons directement
sur Madère: tant pis pour le Maroc, et
le Portugal : on ne peut pas tout faire!
Vol de l'annexe!
Vers 5 heures du matin, je me lève pour
vérifier que le mouillage tient bien.
Pas de problème de ce côté
là. Par contre, à l'arrière
du bateau, l'annexe a disparu! Le câble
qui la retient au bateau a été sectionné!
Je sors le projecteur et les jumelles, et espérant
que les voleurs ne soient pas encore trop loin,
scrute tout autour du bateau. Mais 1/2 heure plus
tard, il faut se rendre à l'évidence
: nous n'avons plus d'annexe ni de moteur! Sympa
l'accueil à Gibraltar!
Carole m'a rejoint sur le pont. Nous sommes bien
sûr très énervés, mais
très vite nous nous disons que nous avons
eu de la chance: le bateau était ouvert
et les voleurs auraient pu rentrer à l'intérieur...
qui sait ce qui aurait pu se passer alors?
Le lendemain, nous apprenons que d'autres annexes
ont été volées et que c'est
monnaie courante ici. Les voleurs sont tranquilles
: ils savent qu'une semaine au plus après
le larcin, les voiliers seront repartis et que
les annexes ne seront pas recherchées!
Je passe toute la matinée dans les méandres
de l'administration espagnole: Police nationale,
Police locale et Guardia civil pour déclarer
le vol.
Pas d'annexe, c'est évidemment très
handicapant pour un voilier, en particulier un
quillard, puisqu'à part dans les ports,
il nous est dorénavant impossible d'aller
sur le rivage. Il est urgent de trouver une nouvelle
annexe!
En fin d'après-midi, nous franchissons
à pied la frontière et nous rendons
à Gibraltar à la recherche d'un
ship. Manque de chance, mais on commence à
avoir l'habitude :-(, ici, on n'est pas à
l'heure espagnole et à 18H, le magasin
ferme ses portes. La femme du patron, toute gentille,
accepte de nous laisser entrer le temps de voir
un listing avec les annexes en stock. Puis on
nous fait sentir que c'est l'heure... Dommage,
ça aurait été tellement plus
classe de passer la frontière en annexe
!!!
Nous finissons notre petit tour dans les rues
à touristes de Gibraltar, avec leur ribambelle
d'échoppes d'électronique grand
public ou d'alcools détaxés, puis
la nuit tombant, rentrons en taxi jusqu'à
la frontière et finissons: à pied
jusqu'au bord de mer, puis avec l'annexe d'un
voisin de mouillage jusqu'au bateau.
Le soir, le listing entre les mains, nous choisissons
notre annexe : nous profitons de cette mésaventure
pour passer au format supérieur: 3,10m.
Jusque-là, nous avions une annexe de 2,60m,
conçue pour 4 personnes! Nous serons plus
stables et donc plus en sécurité,
en particulier dans les vagues au départ
et à l'arrivée des plages!
Le lendemain, nous retournons à Gibraltar,
pour récupérer la nouvelle annexe.
Mais cette fois en bateau: le marchand est d'accord
pour livrer, mais pas en dehors du territoire
de Gibraltar! De toute façon, nous avons
besoin de faire le plein, ce n'est pas un déplacement
pour rien.
Nous sommes reçus par le patron du ship,
extrêmement désagréable: tout
l'inverse de sa femme! Je lui aurai bien envoyé
son annexe à la figure, mais bon, c'est
le seul du coin à en avoir...
Nous repartons un peu plus tard avec une annexe,
un câble tout neuf garanti insécable
ainsi que le nécessaire pour sertir des
boucles aux extrémités (Monsieur
Désagréable n'ayant pas le temps
de faire le sertissage ce jour-là!).
Lotissement
Coucher de soleil sur le lotissement
à La Linea
L'après-midi, l'annexe montée et
gonflée, nous faisons les malins dans le
lotissement: notre nouvelle annexe marche très
bien et est nettement plus spacieuse: Marin et
Domitille peuvent s'assoir sur les boudins.
"Lotissement"?
Oui: dans ce mouillage de La Linea, une vie de
lotissement s'installe peu à peu : les
français se regroupent, tout le monde suit
la vie et les bavardages de tout le monde, car
pour des raisons pratiques (demande de surveillance
de bateaux et d'annexes...), nous sommes tous
sur le même canal VHF.
Bref, nous ne sommes pas partis un an sur un
voilier pour nous retrouver dans un lotissement
bien français, et après quelques
jours seulement, cette attente forcée à
Gibraltar commence déjà à
nous peser.
Heureusement, la fenêtre météo
attendue semble se confirmer. Vent favorable pour
passer le détroit, conditions correctes
pour 4 jours de traversée et l'arrivée
à Madère: nous partirons probablement
dans 2 jours, le samedi 21 octobre.
Vol d'enfants!!
Comme dans tout bon lotissement, il y a une petite
aire de jeux pour les enfants. Elle est située
au bord de l'eau, et nous y amenons les enfants
1 ou 2 heures chaque jour. Il faut dire que c'est
la seule activité d'extérieur, l'eau
grise et sale de la baie coupant net toute envie
de baignade!
La veille de notre départ de Gibraltar,
nous papotons entre adultes pendant que les enfants
se dépensent sans compter dans l'aire de
jeux. Marin et Domitille se sont faits une petite
amie espagnole et tous les 3, ils se régalent
de ne pas se comprendre!
Attirés par les exploits d'un jeune pêcheur
qui remonte un poisson toutes les 5 minutes, les
plus grands se rapprochent pour observer le spectacle.
2 zones à surveiller: 1 de trop! Surtout
lorsque vous êtes en pleine conversation
avec des parents dont les enfants plus âgés
ont moins besoin de surveillance!
Carole s'exclame soudain : "Où sont
Domitille et Marin?!?"
Rapide coup d'il, puis tour de l'aire de jeux:
ils ne sont plus là: on scrute loin à
gauche, à droite, partout: ils ont bel
et bien disparu! Je pars en courant d'un côté,
Carole de l'autre avec Fleur sous le bras. Nous
appelons nos enfants aussi fort que nous pouvons.
Difficile de décrire ce qui se passe dans
nos têtes. La veille en ville, une vieille
dame nous avait prévenu : "ici, faîtes
bien attention à vos enfants, surtout aux
filles!" Pendant une minute qui dure une
heure, nous préférons continuer
à hurler et courir plutôt que penser
à ce qui a pu leur arriver!
Partie du même côté que moi,
Corine, maman Grenouille, m'appelle : "Ils
sont là!"! Ouf! Aussitôt, je
hurle à Carole trop loin pour m'entendre:
"Carole, ils sont là!" Les autres
adultes relaient le message et la voilà
qui accourt.
Marin et Domitille reviennent paisiblement de
cent mètres de là : réalisant
que leur petite amie partait avec ses parents,
ils étaient sortis du parc pour la rejoindre
et "aller lui dire au revoir, quand même"
(Domitille) !!! En voyant nos têtes affolées,
ils réalisent qu'ils ont fait une grosse
bêtise et hésitent à franchir
les derniers mètres qui les séparent
de nous. J'ai maintenant la voix bien chaude,
aussi je continue à hurler, cette fois
sur eux. Ce n'est pas très malin, mais
c'est tout ce que j'ai trouvé. Quand Carole
arrive les larmes aux yeux, elle a un comportement
tout aussi spontané mais beaucoup plus
sain je crois : elle les enlace en leur disant
à quel point elle a eu peur.
On nous avait prévenus pour les vols d'annexes.
On nous avait prévenus pour les vols d'enfants.
Heureusement dans le second cas ce n'était
qu'une fausse alerte! Mais nous nous jurons qu'il
n'y aura pas de deuxième fois!