2 avril - Départ
de La Blanquilla - Temps à grains - Record
de vitesse sur 24h
Nous partons vers 15h, en nous disant que si
cela souffle trop, nous rebrousserons chemin ;
En effet, d'après les prévisions
météo, nous devrions avoir du vent
(25 nuds annoncés) et des grains pendant
2 jours, mais une arrivée calme dans le
Mona Passage, réputé pour ses coups
de vent.
Avec 3 ris dans la grand voile, et 2 dans le
génois, nous avançons à 8
nuds, mais ça n'est pas inconfortable.
En fin d'après-midi, le vent tombe même
à 15 nuds, et nous croisons nos derniers
dauphins Vénézuéliens, venus saluer
notre départ.
Mais les premiers grains arrivent dans la soirée,
alors que nous passons à hauteur de Grenade.
Le vent remonte à 30 nuds avec des rafales
à 35 nuds, la mer se creuse (4 à
5 m), et nous sommes régulièrement
douchés.
Pour l'instant, le moral est bon, il y a un peu
plus de vent qu'annoncé, mais cela reste
supportable. Pendant la nuit, nous passons successivement
à hauteur des Grenadines, de Saint-Vincent
et de La Barbade.
Nous filons vite, et avec 170 milles parcourus
et plus de 7 nuds de moyenne, Apache bat son
record de vitesse sur 24h!
3 avril - Gros grains
Nous espérons que, comme dans les films,
la mer se calme à l'aube, mais pas du tout.
Le vent ne descend plus en dessous de 35 nuds.
A la hauteur de la Martinique, il atteint 45 nuds. La mer se creuse encore à 5 ou 6 m. Nous
alternons les douches d'eau de mer, quand les
vagues déferlent dans le cockpit, et d'eau
douce, avec la pluie.
Du coup, il est impossible d'ouvrir les capots.
Le manque d'air plus les mouvements du bateau,
qui tape dans les vagues rend la situation très
difficile pour tout le monde. Les enfants n'ont
jusqu'à ce jour jamais vraiment souffert
de mal de mer et ont toujours continué
à jouer aux playmobils, lire ou dessiner.
Cette fois-ci, ils sont prostrés, allongés
dans le carré en attendant que ça
passe... On ne peut même pas leur proposer
un film: les secousses du bateau risquent de faire
tomber l'ordinateur. Seule Fleur a la pêche,
réclame son bib et ne comprend pas pourquoi
on l'empêche de gambader dans le bateau!...
Impossible de cuisiner dans ces conditions; J'avais
prévu des repas d'avance, mais personne
n'a vraiment faim.
En fin de journée, au niveau de la Dominique,
l'anémomètre n'en croit pas ses
yeux, il monte à 50 nuds... C'est la
machine à laver à l'intérieur,
cycle essorage long, long, long... ça bouge
dans tous les sens, nous engouffrons des vagues
par la descente, il faut éponger toute
cette eau de mer avec des serviettes qui finissent
par être toutes trempées et dégoulinantes;
La seule place supportable est l'entrée
du cockpit, mais à 7, c'est un peu juste...
Nous alternons donc, et les enfants n'ont le droit
de sortir la tête que pour vomir, et encore,
avec un harnais! Ils acceptent tout ça
sans rien dire, complètement vidés.
Le vent ne baisse toujours pas, et le moral est
au plus bas pendant cette deuxième très
mauvaise nuit... Cela s'appelle cette fois-ci
le "mal de mère" : quand la petite
boule d'angoisse que toutes les mamans ont au
fond du ventre se met à grandir parce que
leurs enfants sont en danger, une sorte de panique
s'installe et l'on se demande ce qu'on fait là....
pourvu que tout finisse bien, que le bateau tienne,
que le mât reste là, que le pilote
supporte cette grosse houle croisée, que
la quille ne tombe pas......Du coup, Jean-Philippe
ne me réveille pas pour mon 1er quart,
il passe pratiquement toute la nuit dehors, trempé
malgré veste et salopette de quart, et
me dira qu'il valait mieux que je ne vois pas
ça...
Malgré les creux, Apache effectue 150
milles en 24h. C'est le seul élément
encourageant: nous avançons toujours aussi
vite et sommes donc "bientôt"
arrivés! Pourtant, cela nous paraît
interminable...
4 avril - Toujours très vite
Arrivés au niveau de la Guadeloupe, les
grains se calment un peu, le vent se pose à
30 nuds, puis à 25 nuds en fin de journée.
le soleil fait même une percée, mais
très vite, les grains accompagnés
de pluies reprennent. On a pourtant l'impression
que le pire est passé.
Dans la soirée, nous passons à
hauteur d'Antigua et Barbuda.
Dans la nuit, nous atteignons l'île de
Mona, à l'entrée du Mona Passage.
A la VHF, nous percevons une communication des
"U.S. Coast Guards" de Puerto Rico.
Nous leur demandons des infos météo
: RAS. Très bien, nous continuons; sinon,
nous nous serions arrêtés au sud
de la République Dominicaine en attendant
une fenêtre pour passer le Mona, mais la
remontée le long de la côte aurait
été difficile.
Encore 160 milles parcourus en 24h.
5 avril - Mona Passage - Répit inattendu
A l'entrée du Mona, nous sommes sous le
vent de Puerto Rico : il tombe à 15 nuds,
et même à 10 nuds dans la journée!
Apache, fortement gîté depuis 3 jours,
se pose lui aussi ; et cette fois, comme dans
les meilleurs films, après la pluie le
beau temps, le soleil brille vraiment toute la
journée, nous aérons, faisons sécher
tout le linge trempé, passons la journée
dehors à regarder la mer plate, et mangeons
enfin un vrai repas.
La sortie du passage nous inquiète un
peu, nous nous attendons à retrouver du
vent, mais pas du tout, nous sommes même
obligés de mettre le moteur si l'on veut
arriver à Luperon le lendemain avant la
nuit. La soirée s'écoule tranquillement,
et les enfants sont récompensés
de leur patience par une soirée ciné
reposante: "Lassie": aucune action,
aucune intrigue.... juste pour le plaisir des
yeux!...
6 avril - Côte nord République Dominicaine
- Encore de la grosse mer!
Après une "bonne" nuit, nous
espérons arriver en milieu d'après
midi.
La matinée est très calme, juste
assez de vent pour un génois bien gonflé.
Mais vers midi, la mer se remet à se creuser,
le vent monte... Oh, non, allez, ça suffit,
on est presque arrivés...
Nous arrivons près de la baie de Luperon,
et n'avons aucune information sur son approche,
nous savons juste que l'on ne peut pas passer
n'importe où parce que la baie n'est pas
profonde...
Le vent souffle à 30 nuds. Nous
passons un appel à la VHF "bateau
arrivant à Luperon a besoin d'aide pour
l'approche"...
Un américain finit par nous répondre,
il nous donne les coordonnées d'approche
de la baie (invisible depuis le large), et nous
attend avec son annexe à l'entrée
du mouillage. Un ami à lui est venu le
rejoindre, nous les suivons au ralenti dans la
passe conduisant au mouillage. On ne voit absolument
pas le fond, l'eau est marron; le sondeur s'affole...
et Apache touche un instant le fond... "Rien
à craindre, au moins 1m de vase au-dessus
du dur", nous disent les américains.
Nous nous dégageons très facilement,
mais sommes inquiets pour la suite!
Encore un passage impressionnant: nous passons
à moins de 10m d'une plage! Il faut avoir
confiance pour passer là! Mais pas le choix:
de l'autre côté, on voit bien le
banc de sable affleurant!
Nous découvrons finalement un immense
mouillage qui s'enfonce dans la mangrove, il y
a une cinquantaine de bateaux, assez proches les
uns des autres. Nous trouvons un espace qui paraît
libre, et nous y reprenons à deux fois
pour poser l'ancre, la fatigue et les 30 nuds
de vent n'aidant pas...
Les bateaux sont pour la plupart américains,
il y a un canal normalement utilisé pour
les appels (le 68), sur lequel ils discutent toute
la journée, notamment des allées
et venues des uns et des autres.... Ce mouillage
a des allures de lotissement, comme à Curaçao
et à Gibraltar, et nous déplait
au premier abord.
Mais deux heures plus tard, alors que nous commençons
enfin à nous détendre, nous réalisons
que nous avons dérapé, et que le
vent, qui n'a pas molli, est en train de nous
pousser sur un bateau...la manuvre se fait
comme souvent dans les cris, parce qu'entre le
bruit du moteur et celui du vent, c'est la seule
façon de s'entendre... Nous sommes cernés
par les bateaux, il y a un banc de sable juste
à côté... et toujours ce vent...
Heureusement, le même américain
arrive en annexe, puis un autre, puis un troisième.
Ils poussent le bateau sur les côtés
pour l'aider à se maintenir face au vent
pendant que nous essayons de remonter l'ancre.
Puis ils nous indiquent un autre endroit mieux
abrité du vent par la mangrove... et ne
repartent que lorsque nous sommes solidement ancrés...
nous revoyons alors forcément notre mauvaise
première impression, et réalisons
que s'ils s'épient les uns les autres,
c'est aussi pour la bonne cause!
Parmi les trois personnes venues nous aider,
il y a Philippe, un français parti depuis
très longtemps. Seul à accepter
une bière en guise de remerciement (en
fait, il est franco-belge...), il monte à
bord et nous indique tous les petits trucs à
savoir en arrivant (où est la police, la
douane, à combien s'élèvent
les "petits cadeaux" qu'il faut faire
aux douaniers...).
A 19h00, tout le monde est couché, l'angoisse
et l'anxiété sont oubliées.
Nous nous endormons en pensant à Christophe
Colomb, qui a posé son ancre non loin de
là, le 5 décembre 1492; il a découvert
ce pays lors de son premier voyage au nouveau
monde, juste après Cuba, et se croyait
aux Indes.... ce qui relativise bien nos "aventures"!