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    21. Cuba
23 avril au 4 mai 2008
 
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Découverte de...
 

Par où commencer ce carnet? Il est très difficile de se lancer tant nos impressions sont mélangées! Le plus simple est de prendre les choses comme elles viennent: dans l'ordre!


Cuba, nous voilà! (23 avril) - Autorités

Nous approchons de Puerto Vita sur la côte nord de Cuba le mercredi 23 avril, après un peu moins de 3 jours de navigation sur une mer d'huile et sans le moindre souffle d'air. Les navigations se suivent mais ne se ressemblent pas! 300 milles tout au moteur à régime réduit... lent, lent, lent. Seul avantage: double dose d'école pour tout le monde: matin et après-midi! Et Philippine et Domitille ont même droit à une coupe de cheveux.


A 3 milles des côtes, ce sont les autorités qui entrent en contact radio avec nous: "Voilier arrivant sur Puerto Vita, identifiez-vous!"

30 minutes plus tard, nous nous amarrons au seul ponton de la petite marina au fond d'une baie bien protégée et entourée de mangrove. JP met le pied à terre pour fixer une amarre.

On nous fait remarquer fermement qu'il n'a pas le droit tant que les formalités d'entrée ne sont pas faites. JP répond tout aussi poliment qu'avant de faire les formalités, il faut amarrer le bateau.



S'ensuivent donc les formalités à la mode cubaine: enlevant leurs chaussures, 6 ou 7 personnes en uniforme montent à bord d'Apache: douane, immigration, capitainerie du port, médecin, vétérinaire... tous nous posent les mêmes questions pour remplir leurs formulaires (au moins, ce sont eux qui font le travail, ailleurs, c'était à nous de le faire!) qui iront s'entasser dans leurs bureaux respectifs.

Finalement, tout se passe assez rapidement et c'est bien plus simple pour nous de recevoir les autorités à bord plutôt que nous rendre à pied dans les différents services!

Il faut dire qu'avec notre format familial, nous n'avons pas l'air de trafiquants!
Et puis "Apache", prononcé "Apatchi" en anglais et "Apatché" en espagnol, est un nom international. Tout le monde sait ce que c'est et comment ça s'écrit. C'est déjà un avantage pour se signaler à la VHF par exemple. Les noms du genre "Mon rêve d'ailleurs" doivent causer bien des migraines en arrivant dans un port étranger...

Mais surtout, depuis que nous sommes de ce côté-là de l'Atlantique, Apache a la côte: "Apache, como los indios!". Il n'est pas rare qu'on nous dise "J'ai un ancêtre Apache!".

Après moins d'une heure, les frères Rapetou ayant fini de nous pomper des sous (c'est surtout pour ça qu'ils sont là), nous sommes les bienvenus sur le sol cubain et nos 5 petits indiens sortent en courant!

Mais tout ne se passe pas aussi bien pour tout le monde: "Pinguino", un voilier Chilien en panne de moteur, arrivé dans l'après-midi, trop tard au goût des autorités, se voit interdire l'accès au ponton! Malgré les supplications de l'équipage, rien n'y fait: trop tard, c'est trop tard: le voilier, utilisant son moteur d'annexe de 5ch pour manœuvrer, est renvoyé au mouillage à 200m de la marina. Sur le chemin, le bateau s'échoue sur un banc de sable et passera la nuit coincé là!

Nous nous attendions plutôt à ce type d'accueil de la part des autorités: nous avons eu de la chance!


Puerto Vita (23 avril) - Mendicité - Partons vite!

La marina est vide et glauque. La première ville, où se trouve aussi la plage la plus proche, est à 15 kilomètres. Super! :-(

Il y a quand même un tout petit bourg accessible à pied. Une grande rue et une trentaine de maisons de chaque côté. Les seules personnes qui s'approchent de nous et répondent à nos sourires nous demandent de leur donner un "cadeau", et repartent vite quand nous leur répondons "non".

Un vieux monsieur nous invite à entrer dans son jardin, en nous disant que nous y serons plus tranquilles. Lui et sa femme habitent une toute petite maison en planches d'une seule pièce, entièrement occupée par le lit. Les draps sont faits de morceaux de tissus cousus les uns aux autres. En guise de papier peint, les pages d'un magazine recouvrent tout un pan de mur. Ces gens n'ont rien d'autre que leur bananier, quelques poules et un jeune cochon.

Luis, c'est son nom, offre des pendentifs en écorce aux enfants malgré nos protestations, et nous explique qu'il ne faut pas écouter sa voisine, "un peu folle, et qui passe son temps à quémander". Il finit par nous raconter que la vie est dure à Cuba, et que nous serions gentils de l'aider, de lui offrir des t-shirts par exemple. Comme il nous dit être pêcheur, JP lui propose plutôt du matériel de pêche. Il est manifestement ravi et accepte bien vite. [application à la lettre du principe premier du parfait petit bénévole humanitaire: "si tu donnes du poisson à un homme, tu le nourris pendant un jour, si tu lui apprends à pécher, tu le nourris pour la vie!..."]

La voisine en question arrive, prend Domitille et Marin par la main et les amène chez elle, où elle a soi-disant des bonbons. Elle était en train de se faire un shampoing colorant quand elle nous a aperçus. Elle a donc des gouttes "acajou" qui lui dégoulinent sur le visage... on dirait vraiment une sorcière et les enfants ont un peu peur!

Nous quittons Luis le pêcheur pour voir où la sorcière amène nos enfants. Elle ferme la porte derrière nous et avec un air de conspirateur, nous explique qu'il ne faut pas écouter son voisin...

Ce qui l'intéresse, elle, ce sont des t-shirts motif "camouflage" pour son fils qui fait 1m75! Au moins, c'est clair et précis! J'ai beau lui expliquer que nous avons le strict minimum sur le bateau et en avons besoin (la transat retour est pour bientôt!), elle est vraiment très insistante... Nous finissons quand même par nous sortir de ce nouveau piège et nous séparons avec le sourire.

En rentrant au bateau, nous sommes interpelés tour à tour par 3 autres personnes. Sourires, caresses aux enfants, compliments pour la belle famille... Une fois le contact établi, ils prennent un air de conspirateur, et la main devant la bouche pour ne pas être entendus des voisins, nous demandent un cadeau, puisque "Cuba est très pauvre et vous les touristes très riches".

Forcément, comme première impression, c'est plutôt l'agacement! Surtout qu'à partir de 18H, ce sont les moustiques et les "yinyins" (sortes de moustiques microscopiques à la piqure très douloureuse) qui passent à l'attaque à la marina!

Nous passons la nuit à nous gratter et à essayer les différents produits anti-moustiques restés jusque-là dans les coffres. Qu'ils soient "spécial tropiques" ou "action super plus extra mieux", ils se révèlent aussi inefficaces les uns que les autres. L'industrie parapharmaceutique ne doit pas avoir intérêt à sortir un produit qui marche, cela tuerait le marché juteux des "anti-grattage" et autres lotions apaisantes...

Bref, à notre réveil, Puerto Vita, c'est plutôt "partons vite!"


Guardalavaca (24 avril) - Touristes massifs et Cubains rationnés

Nous partons pour la journée à Guardalavaca, à 15km de Puerto Vita. Comme le seul bus de la journée est parti à 7h30, nous devons prendre un taxi.

La route est complètement défoncée. Les rares voitures (presque toutes des taxis) et camions slaloment entre les trous énormes. Il y a aussi beaucoup de charrettes tirées par des chevaux ou des bœufs. Ici, ce ne sont pas des promène-touristes: elles constituent le principal moyen de transport de la population et des marchandises.


Guardalavaca est connue comme la 2ème plus belle plage de Cuba après Varadero et sa réputation n'est pas volée.

Mais les gros complexes touristiques se sont emparés du site et il ne reste qu'un petit bout de plage libre d'accès aux non-clients. Le reste est envahi par les touristes, essentiellement canadiens. Fidèles à leur drapeau, ces derniers sont très blancs ou rouge vif, selon leur date d'arrivée. Grâce à la formule "all inclusive", ils ne se lèvent de leur transat que pour aller se chercher une nouvelle bouteille de bière ou un verre de mojito ou de piña colada.



Non, non, il n'y a aucun mépris: nous-mêmes avons passé en novembre 2000 une dizaine de jours dans une réserve à touristes à Varadero. Juliette avait alors 2ans 1/2 et Philippine 13 mois: après un été pourri à Paris, nous voulions juste du calme, de la mer et du soleil: c'était parfait!

Un peu de mépris quand même pour cette femme grillée à point, qui se lève de son transat, met son chapeau et son paréo achetés à la boutique de l'hôtel, se dirige vers le bout de plage des Cubains, se plante devant une petite fille jouant tranquillement dans le sable, et dégaine une Barbie. Elle lui tend avec un sourire appuyé et étudié, et repart bien vite à son transat. Un instant elle a été Lady Di!

Guardalavaca n'est pas vraiment une ville: coupée en 2 par la route (comme beaucoup de petites villes cubaines), elle est constituée d'un côté par le complexe touristique avec les hôtels en bord de plage, une banque, 3 boutiques quasi-vides et un "Rapido" (la chaîne de restauration "rapide" nationale) et de l'autre, par la ville proprement dite, une "cité" pour cubains constituée d'une dizaine de petites barres d'immeubles, hors de vue des touristes. Pas la moindre boutique. Les prix du côté touristes étant prohibitifs pour la population, on se demande où et comment les habitants s'approvisionnent!

A propos d'achats, il y a 2 monnaies en circulation à Cuba:

- Le Peso Convertible, appelé Cuc, fixé à 1$ US. C'est la monnaie du tourisme et des riches cubains. Elle est utilisée pour les hôtels, les restaurants, les locations de voiture, les pompes à essence et la plupart des magasins. Les prix en Cucs sont adaptés au portefeuille des touristes et sont donc hors de portée des Cubains!

- Le Peso Cubain, ou Moneda Nacional, est la monnaie avec laquelle la majorité des cubains est payée. Elle leur permet d'acheter les fruits et légumes ainsi que des sandwiches ou pizzas dans la rue. Elle est aussi acceptée dans certains magasins. En mai 2008, il faut 25 Pesos pour faire 1 Cuc. Les prix en Pesos sont (un peu) plus adaptés au niveau de vie cubain. Pour nous, c'est une aubaine!

Enfin, il faut savoir que les Cubains sont soumis au rationnement. Leur carnet leur donne droit chaque mois à une quantité limitée de certains produits de base: tant de kilos de sucre, de riz, de haricots rouges, etc... Mais la diversité et la quantité sont très insuffisantes et les Cubains qui le peuvent doivent acheter le complément.

Nous trouvons un centre de télécommunication où on a accès à internet. Très cher, et très limité: impossible de faire "du FTP", donc de mettre le site à jour et donner des nouvelles. D'ailleurs, à aucun endroit lors de notre périple cubain nous ne pourrons mettre le site à jour. Pour rassurer tout le monde, nous envoyons par mail l'"actu" annonçant notre arrivée à Cuba; elle est mise en ligne par un ami resté à terre (merci beaucoup, Ko!).


Routes de campagne - Moa (25 avril)

Nous louons une voiture pour visiter Cuba de l'intérieur.

Avec ses 111.000 km2 (grand comme l'Angleterre), l'île crocodile est la plus grande des Caraïbes. Nous n'avons que 5j devant nous. Nous ne visiterons donc que l'"Oriente", la partie est, et savons donc à l'avance que nous n'aurons à l'issue de ce séjour qu'une vision très partielle de Cuba.

L'Oriente est l'une des régions les plus pauvres et les moins touristiques, malgré la présence de Santiago de Cuba, 2ème ville du pays après la Havane, et ancienne capitale du pays.



Très vite sur la route, la réalité cubaine nous prend à la gorge. Nous traversons de nombreux petits bourgs tous identiques, où les rues non goudronnées sont numérotées et les quartiers marqués "Zone XXXX". Ces bourgs en pleine campagne ont semble-t-il été construits là où la main d'œuvre agricole était nécessaire: autour de nous, partout, des cultures.
Au bord de la route et à tout bout de champs (au sens propre), sont plantés des panneaux à la gloire du régime castriste: slogans propagandistes, portraits de Fidel ou du Che. A qui s'adressent-ils sur ces routes quasi désertes? Nous croisons en effet plus de chèvres et de cochons que d'êtres humains!


Quel contraste entre ces paysages paradisiaques, cette nature exubérante qui devrait suffire à nourrir largement tout Cuba, et cette évidente difficulté de vie des Cubains!

Au milieu de nulle part, des hommes, des femmes et des enfants marchent le long des routes sous un soleil écrasant. Les visages sont marqués par le quotidien et la tristesse est dans tous les regards. Ces gens ont l'air asphyxiés par un système dont il n'y a plus rien à attendre. "Patria o Muerte", dit le slogan... à moins que ce ne soit "Patria Y muerte"...



On a l'habitude de présenter les cubains comme des gens gais, souriants et enjoués. Mais après le Venezuela et la République Dominicaine, le contraste est saisissant. Dans les campagnes, nous sommes très loin de ces clichés touristiques, et l'on aperçoit plutôt les larmes du Crocodile...

Quand nous nous arrêtons à Moa, où nous pensons passer la nuit, nous avons donc un goût amer. Malheureusement, cette ville ne va pas nous faire changer d'avis. Nous cherchons une "Casa Particular" (chambre chez l'habitant), souvent la seule alternative aux hôtels.

Nous voyant un peu perdus, un jeune homme nous aborde. Il s'appelle Celio, il est évangéliste et veut juste nous aider, non vraiment, il n'est pas comme les autres. Bon, il monte dans la voiture et nous commençons à tourner et tourner dans la ville. Parfois il entre dans une maison, et en ressort l'air désolé, "c'est complet". Pas très efficace ni convaincant le Celio. Tout le monde en a assez, nous avons passé la journée dans la voiture, les enfants s'énervent. Il finit par nous expliquer lui aussi que la vie est dure, qu'il est très pauvre, et que nous sommes riches donc nous devons l'aider. Nous lui expliquons que nous avons conscience de la difficulté de vie des Cubains, mais nous ne sommes pas assez riches pour aider tous ceux que nous croisons. Il ne semble pas comprendre. Il a vu des reportages où l'on dit que les français sont riches, surtout qu'ils ont des primes à la naissance d'une fille, alors comme nous en avons 4... (!!!) (plusieurs nous ressortiront cette drôle d'idée, entendue à la télé, donc vraie!...)

En réalité, ce qu'il attend de nous, c'est une "carte d'invitation". Les larmes aux yeux, il nous explique que les Cubains ne peuvent pas sortir du territoire à moins d'être "invité" par un étranger. C'est simple, nous n'avons qu'à nous rendre au consulat de France et dire que nous l'invitons chez nous ; dès qu'il est arrivé en France, il est libre et se débrouille, ira chez des amis.
"-Mais tu n'as pas d'argent pour le billet, et comme tu ne parles pas français, tu ne trouveras pas de travail, tu n'auras donc pas de logement..."
"-Mais pourquoi me parlez-vous de détails quand je vous parle de la vie d'un homme, aidez-moi..." Toute cette discussion a lieu devant chez lui, mais il murmure, personne ne doit l'entendre, les voisins pourraient le dénoncer. Avec Raul, maintenant c'est "Petit Frère is watching you..."!

Nous prenons ses coordonnées et lui promettons que nous allons nous renseigner sur les démarches. Ce qui est vrai. Mais là, il se fait tard, il nous faut trouver un endroit pour dormir. Il nous propose d'aller chez lui; cela peut paraître gentil, mais sachant que c'est totalement interdit par la loi cubaine, cela nous semble bizarre. Les Casas particulares sont répertoriées et surveillées par l'Etat, elles lui donnent d'ailleurs une partie de leurs recettes. Et puis même en France, cela ne nous viendrait pas à l'idée d'aller dormir chez quelqu'un que nous ne connaissons pas du tout, surtout en famille.

Nous fuyons donc cette ville horrible et glauque en espérant arriver à Baracoa avant la nuit : il n'y a que 70 km, mais la route est vraiment en sale état!

En chemin, nous ouvrons pour une fois un de nos guides sur Cuba; "Le routard" décrit Moa comme "une ville ouvrière aux HLM rongés par l'humidité et la pollution.... pour un temps, le social et le réel collent aux pneus de la voiture et à nos baskets; après cette région si peu nickel (principale activité de la ville), on retrouve le calme des routes flirtant à nouveau avec une mer limpide". Notre mauvaise impression n'est donc pas due à notre seule mauvaise humeur. Nous nous promettons d'ouvrir un peu plus souvent nos guides à l'avenir...


Baracoa, ville tranquille (26-27 avril)

Grâce à une vieille dame charmante, nous trouvons rapidement une casa particular.

Dès notre arrivée dans la ville, nous nous y sentons bien : elle est à taille humaine. C'est la première ville coloniale fondée à Cuba, la deuxième du nouveau monde, juste après St Domingue, en République Dominicaine. La route a été construite très récemment, et la ville n'a longtemps été accessible que par la mer.

C'est un endroit très paisible et peu touristique, les gens sont gentils, souriants, et ne quémandent rien.


Nous changeons enfin nos pesos convertibles contre des pesos cubains; le coût de la vie chute d'un coup: les pizzas et sandwichs dans la rue sont à 5 pesos, soit à peu près 15 cts d'euros !

Heureusement d'ailleurs, car comme les tarifs de marina, de location de voiture et d'hôtel sont au niveau européen, nous n'avons pas les moyens de mener ce train de vie bien longtemps!

Nous prenons par exemple un petit déjeuner à "la casa del chocolate" (repérée la veille par Philippine...) : un chocolat cubain épais comme une crème, accompagné de pains briochés, pour 75 pesos cubains, soit moins de 3 euros, à 7! (si, si, Fleur demande sa part quand il s'agit de chocolat!)

Nous découvrons aussi une spécialité de la région: le "cucurucho", mélange de noix de coco et de pâte de goyave, servi dans une sorte de cornet en feuilles de cocotier. Fleur, Marin et les parents se régalent, les trois autres déclarent en chœur qu'elles "ont le droit de trouver ça mauvais..."

Entre balades dans la ville et soirées passées sur les bancs de la place principale avec les habitants venus "prendre le frais" comme nous, nous passons 2 jours sous le charme de rencontres et moments simples partagés.


Santiago de Cuba, en passant par Guantanamo (27-28 avril)

Guantanamo se trouve sur notre route pour Santiago. La base militaire américaine ne se visite pas, c'est un territoire américain en sol cubain! La ville, elle, ne présente pas vraiment d'intérêt et ce dimanche elle est vide et triste.

La suite de la route jusqu'à Santiago est bien plus intéressante: nous passons entre des montagnes arides et peuplées de cactus, des bords de plages de sable blanc, et des petits villages d'un autre âge constitués de huttes aux toits de palme... Là encore, la propagande est omniprésente: statues, photos, slogans. Nous ne réalisons qu'à ce moment-là que par contre, nous n'avons vu aucune publicité depuis que nous sommes sur le sol cubain. Les panneaux sont consacrés à la promotion du régime et vantent les méritent du Che plutôt que du Coca-Cola ou de la dernière Peugeot. Chacun ses idoles... Mais il faut dire qu'il n'existe pour ainsi dire aucune entreprise privée à Cuba, chaque hôtel, restaurant, magasin, garage, boulangerie ou même entreprise agricole appartient à l'Etat. Un pays tout entier de fonctionnaires...


A notre arrivée à Santiago, nous mettons un temps fou pour trouver une Casa Particular: soit c'est complet, soit ils ne veulent pas accueillir autant d'enfants, "ils n'ont pas le droit"; "Pourtant, à Baracoa, ça n'a pas posé de problème" "chaque région a ses règles." Nous finissons par trouver une maison où les gens semblent avoir suffisamment d'argent pour se situer au dessus des règles...

Nous sommes déçus par Santiago, mais la pauvreté de son architecture et l'état de délabrement des constructions coloniales qui témoignent de temps meilleurs n'y sont pour rien.



Nous avons été sollicités comme jamais depuis le début du voyage. Pourtant, au Cap-Vert, au Venezuela ou en République Dominicaine, nous avons croisé des gens au moins aussi pauvres; alors peut-être que les touristes pervertissent les rapports. Sûrement, même. Mais le "c'est pas ma faute" est un peu trop utilisé ici. Il semble que Fidel a bien travaillé: s'ils sont pauvres, c'est à cause du grand méchant voisin, les USA, et donc un peu celle de tout les gringos de passage. Ils comptent donc apparemment sur notre culpabilité.

Les tarifs proposés en CUC, aux touristes, sont vraiment très élevés, et sans commune mesure avec le coût de la vie ici. On a donc la très désagréable impression d'être pris pour une pompe à fric et de payer les pots cassés d'un système inefficace. Ça ne colle ni avec le soi-disant légendaire accueil cubain, ni avec leurs grandes idées politiques...

Nous trouvons normal de faire un cadeau ou de payer un peu plus cher des bananes achetées à une vieille dame au bord de la route, mais remplir les caisses du parti, non!

On a aussi l'habitude d'entendre que pour "comprendre les Cubains, il faut avoir gardé son âme d'enfant, car eux-mêmes le sont restés, tant la moindre initiative personnelle a été étouffée". Alors ça n'est certainement pas politiquement correct (m'enfin c'est eux qui ont commencé!), mais nous ne sommes pas du tout d'accord. Encore une fois, nous savons que nos impressions ne se basent que sur quelques jours, quelques villes, quelques rencontres, et que Cuba ne doit pas se comparer à ce que l'on connaît déjà. Alors, oui, les Cubains rencontrés sont des enfants: ils pleurnichent, sont crédules et ne comprennent pas quand on leur dit non. Mais un enfant se caractérise surtout, heureusement, par sa formidable joie de vivre et sa spontanéité; et ça, nous ne l'avons pas du tout trouvé ici. Mais il est bien connu que les enfants des autres sont souvent plus difficiles à supporter que les siens...

Nous nous sommes demandés pourquoi nous étions si surpris par les Cubains: en fait, les méditerranéens que nous sommes avons une attirance pour les latins. Et ici, malgré leur histoire, ils ne cultivent plus cet art de vivre que nous aimons tant. Il semble que Fidel ait effacé leurs racines en même temps que leurs sourires. D'ailleurs, nulle trace de Christophe Colomb parmi les pourtant très nombreuses statues...

Alors que je fais la queue pour des sandwiches dans la rue, le vendeur m'annonce sans scrupules un prix en CUC, plusieurs fois le prix en Pesos. Je lui fais remarquer que comme j'attends depuis 10mn, j'ai vu combien les autres ont payé. Il rigole, prend les autres à témoin et maintient son prix. Alors j'avoue, je m'emporte un peu en lui disant que si j'étais aussi bête que lui, j'irais le dénoncer à la police.

Ce style de mésaventure nous arrive à plusieurs reprises à Santiago, et si l'on conçoit qu'ils essaient de gagner plus quand ils vendent à un touriste, on ne peut pas non plus accepter qu'on se moque ouvertement de nous. La pauvreté n'est pas une excuse pour faire n'importe quoi, et le délit de faciès n'est pas plus acceptable dans un sens que dans l'autre. Alors oui, comme des enfants, nombreux sont ceux qui finissent, penauds, par annoncer le vrai prix, et ne comprennent pas quand je leur réponds que je préfère aller acheter chez un marchand honnête.

Cela gâche indéniablement notre séjour, et le légendaire accueil cubain en prend encore un coup!

Nous profitons tout de même d'être dans une grande ville pour essayer encore une fois de comprendre leur mode de vie.

En dehors des magasins qui délivrent les rations mensuelles et n'acceptent que les "livrets de rationnement", il y a aussi des magasins où l'on paie en monnaie nationale ce que le plan a défini comme "utile": les uniformes des écoliers, les cartables (des sacs en osier), des tasses en plastique, des draps, des pièces de moteur... mais il n'y a aucun choix possible. On vient chercher "un bol", et l'on reçoit ce qu'il y a.

Pour le superflu, ou en tout cas considéré comme tel par le gouvernement, la seule solution est d'avoir des CUC pour accéder aux magasins "libres" (mais qui appartiennent toujours à l'Etat, bien sûr). On y trouve tout ce que la Chine fabrique de pire en terme de qualité, mais à des prix européens : c'est une sous-Foirfouille tarif Monoprix !

Nous trouvons quand même de quoi agrémenter l'anniversaire de Domitille qui arrive à grands pas: un mini fast-food en dinette, quelle ironie!

Nous passons sur une place animée : c'est l'unique endroit où nous entendrons un groupe jouer de la musique dans la rue (parce que les grands hôtels sont proches?) Cuba a aussi pourtant la réputation d'être un pays de musiciens.

Or, depuis Trinidad et Tobago (voire même depuis le Cap-Vert), la musique était omniprésente, il n'était pas rare d'en entendre même depuis un mouillage isolé. Elle était partout, quotidienne, dans la rue, dans les taxis, dans les magasins, sortait des maisons... et même des banques et des administrations. A Cuba, les rues nous semblent muettes, et c'est peut-être ce qui nous les rend si tristes. Et là encore, ça n'est pas une question de moyens, les autres pays étaient pauvres aussi mais les musiciens improvisaient avec ce qu'ils avaient sous la main. C'est bien une différence de culture. Les Cubains ne sont pas (plus?) des Caribéens non plus.

A Santiago, nous choisissons un CD de musique cubaine pour avoir une bande sonore lors de nos trajets en voiture. Rumba et Salsa nous semblent vraiment trop gaies et décalées par rapport à ce que nous voyons. La Trova, avec une voix mélancolique, voire triste, accompagnée d'une guitare sèche nous semble plus appropriée.

Après 5 jours dans les terres, nous sentons que c'est un peu court pour se faire une idée; nous décidons donc de prolonger notre périple, d'autant que le 1er mai se prépare activement dans tout le pays, nous avons envie d'y assister depuis les terres plutôt que depuis notre marina-ghetto!


Bayamo - Fête du travail - Holguin (30 avril - 1er mai)

La route jusqu'à Bayamo est encore une fois splendide, la traversée de la Sierra Maestra, un enchantement.

Bayamo est plutôt à l'écart des sentiers touristiques, et comme Baracoa, il y fait bon vivre. Quelque jolis édifices autour de places en marbre (la spécialité de la région) fraîches et ombragées, c'est très calme.

Nous croisons à plusieurs reprises un jeune étudiant, heureux de nous parler de son pays. Il insiste pour que la discussion se fasse en anglais, il a besoin de la pratiquer pour ses études.

Nous réalisons que c'est aussi sûrement pour ne pas être compris des nombreuses oreilles qui traînent... Il nous apprend notamment que Raul a annoncé l'arrêt des "cartes d'invitations", parce que cela générait tout un trafic de la part d'étrangers monnayant ces invitations. D'après lui, les Cubains ont donc maintenant le droit de sortir du territoire. Bien sûr, au prix du billet, autant les autoriser à aller sur la Lune! Mais si cette information se confirme, c'est tout de même un grand pas vers la Liberté.

Il nous explique aussi qu'avec le livret de rationnement, un cubain a largement de quoi se nourrir, et que ceux qui mendient sont des fainéants parce que l'état offre un travail à tous ceux qui le demandent. Nous ne savons pas s'il est un peu jeune pour apprécier, ou bien embrigadé, mais ça n'est pas le discours des autres personnes qui ont bien voulu nous parler de leur quotidien.

Nous dormons dans un hôtel un peu spécial puisqu'il s'agit en fait d'une école hôtelière: nous prenons la "suite junior", qui est au prix d'une Casa Particular, et en plus il y a la télé!!! Mais les enfants constatent avec déception qu'il n'y a pratiquement pas de dessins animés, très peu de chaînes, et que celles qui ne sont pas à la gloire du régime diffusent en boucles de vieux téléfilms italiens, espagnols ou coréens...

La première nuit, nous sommes réveillés par une pluie diluvienne: il n'y a pas de vitres, mais simplement des volets aux fenêtres, l'eau finit donc par rentrer. Les chambres sont inondées, et Fleur, à qui nous avions confectionné un petit lit par terre, est complètement trempée!!

Visiblement, il reste quelques détails à améliorer dans cet hôtel...

Comme à Santiago, les magasins appartiennent tous à l'Etat, et le sens du service ne semble pas être une notion très valorisée. De trop nombreuses vendeuses traînent derrière les comptoirs quasi-vides et discutent; Elles sont visiblement agacées quand on leur pose une question; aux heures de pointe, il faut prendre un ticket et faire la queue pour avoir le droit de s'acheter une casserole hors de prix.

Au rayon chaussures enfants, ils ont résolu les problèmes de choix : il n'y a en général qu'une seule forme, et en 24 c'est rose, en 25 c'est bleu, en 26 orange etc... On trouve des talons à partir du 28, Domitille est médusée : "Maman, il y a des dames qui ont des pieds petits comme moi!!!" ; ses sœurs lui répondent : "Pff, tu ne vois pas que ce sont des déguisements?..."

Dans le même genre, beaucoup me conseillent de mettre des boucles d'oreilles à Fleur, pour que l'on voie que c'est une fille. J'ai beau savoir que c'est une pratique courante, même en Espagne, l'idée me semble aussi incongrue que de lui mettre une perruque!

Nous ne regrettons pas notre décision de rester 2 jours à Bayamo car nous y sommes très bien accueillis.

Décidément, Cuba souffle tour à tour le chaud et le froid: c'est sûrement le résultat du métissage entre les Caraïbes et l'ex-URSS!

Le 1er mai est comme nous l'attendions : toute la ville défile en rouge, dans une ambiance familiale, avec chacun son drapeau, son affiche à la gloire de Fidel, et un peu de Raul !

Lorsque la bière et le rhum commencent à couler à flots, nous préférons nous éclipser avant de nous retrouver coincés, nos visages pâles ne passant pas inaperçus!

Nous reprenons la route et nous arrêtons le temps de déjeuner et d'une rapide balade en ville, à Holguin, grande ville touristique où les restaurants "attrape-CUC" de la rue principale nous agacent encore une fois...


Puerto Vita - Derniers jours et dernières surprises (2 au 4 mai)

De retour à Puerto Vita, nous constatons que le "Cinco!? Todos son tuyos?" tant et tant entendu, avec encore plus d'insistance qu'ailleurs (plus de 100 fois par jour!!!), et qui finit par agacer même les enfants, fonctionne encore.

Luis, le vieil homme rencontré le premier jour à Puerto Vita, nous explique ce qu'aucun n'avait osé nous raconter: à Cuba, beaucoup d'hommes ont plusieurs foyers, en même temps, dans des villes différentes. Donc beaucoup d'hommes ont 5 ou 6 enfants, oui, mais avec des femmes différentes, pas sous le même toit. C'est certainement ce qui explique que l'on nous pose systématiquement la question à tous les deux :" ils sont tous à toi, et tous à elle aussi?"

Nous sommes surpris, lui demandons si c'est légal, si cela se fait en cachette ou ouvertement : il sourit "- à Cuba, tout est caché, mais l'on peut tout faire!"

D'ailleurs, il est parvenu à nous trouver, on ne sait comment, les 5 pains, 30 œufs et 80 bananes commandés la veille!

Nous lui laissons le stock de savonnettes que nous avions amené à Cuba en prévision d'échanges avec des pêcheurs: "c'est de l'or", nous dit-il la larme à l'œil, ainsi que les pesos qui nous restent.

La veille du départ, nous prenons contact avec un cargo amarré au ponton commercial de la baie. Nous avons besoin de vérifier une dernière fois la météo avant de partir, et faire l'aller-retour à Guardalavaca (15km en taxi) rien que pour ça est un peu cher.

JP se rend sur le cargo où le capitaine polonais, comme le bateau, lui apprend que le bateau est plein de riz américain pour Cuba. "- Et l'embargo?", demande JP, "- Money is money!", répond le capitaine! Le douanier qui l'a accompagné au bateau ajoute avec un air mystérieux que ce riz américain est payé en cash par Cuba... Pour éviter les traces?

Nous décalons d'une journée notre départ pour les Bahamas pour attendre un vent plus favorable.

Les autorités, qui ont refusé de faire les formalités de sorties avant l'heure du départ, nous font l'honneur d'amener un chien anti-drogue! (c'est un cocker!!!) Finalement, on a peut-être l'air de bandits! Quelle drôle d'idée de vérifier si on repart avec de la drogue... plutôt que si l'on arrive avec!

Tout le monde se met en chaussettes comme à notre arrivée... Mais rien n'est prévu pour le chien, qui nous laisse des traces de terre dans tout le bateau, y compris sur les draps qui sortent de la lessive à la main!

On nous reprend encore 10 cucs de timbres qui vont être réutilisés après nous (ils sont vendus au bureau de la marina, et récupérés aussitôt comme preuve de paiement par la capitainerie du port)...

Au total, les Rapetous cubains nous ont pris près de 200 cucs, soit 150 euros.

Il est 8h, ça y est, c'est fini, nous partons!...


Adios Cuba - En conclusion

Nous sommes arrivés à Cuba avec en tête les clichés connus: pays d'une autre époque, pauvreté, musique omniprésente, joie de vivre, accueil...

La réalité que nous avons découverte lors de ces 7 jours dans les terres cubaines confirme certains de ces clichés, mais fait tomber les autres:

- Ce qui frappe le plus à Cuba, c'est bien cette impression de se retrouver des décennies en arrière. Outre le régime castriste (et en grande partie à cause de lui), tout est d'une autre époque: maisons (maisons coloniales en ville, huttes en palmier à la campagne), moyens de transport (charrettes collectives au sol, biplans (!) dans les airs), nombreux side-cars, voitures américaines des années 40 ou du bloc soviétique des années 70 (Lada notamment), tickets de rationnement, matériel agricole (peu ou pas de tracteurs chez les petits paysans: seulement 1 ou 2 bœufs pour tirer les socs et les charrues)...

Mais le temps, lui, a continué son ouvrage et dans les villes, la plupart des édifices coloniaux sont à 2 doigts de s'écrouler, ainsi que de nombreuses maisons. Le nombre et la variété de vieilles voitures sont un enchantement pour l'amateur; mais contrairement à ce qu'on voit sur les cartes postales, elles sont dans leur grande majorité dans un état pitoyable, arrêtées sur le bord de la route, le capot moteur ouvert, voire rangées définitivement au fond d'un jardin. Celles qui roulent (en ville comme à la campagne, il y en a quand même beaucoup), ne font illusion que de loin car leurs propriétaires n'ont pas les moyens de les conserver en état. Il faut dire qu'à Cuba, elles ne sont pas dans des musées mais utilisées au quotidien!

- La pauvreté est bien là, elle aussi. Mais avec elle, non pas de la musique, de la joie de vivre et de l'accueil, mais beaucoup de mendicité et surtout cette terrible tristesse déjà évoquée plus haut.

Encore une fois, nous n'avons vu qu'une partie de Cuba, l'une des plus pauvres, et en 7 jours seulement. En plus, nous arrivions de plusieurs mois dans les Caraïbes, et pas d'un Paris pluvieux. Il ne s'agit donc ici que de donner notre ressenti sur ce voyage, et certainement pas de juger. Cuba est véritablement extraordinaire: à ce titre, c'est un pays à voir absolument, un fossile, qui réserve de multiples surprises. Nous voulions y aller et il aurait été dommage de le rater. Nous aurions aimé avoir le temps d'aller jusqu'à la vallée de Pinar del rio, et aussi à La Havane, même si, en tant que "vitrine de Cuba", nous avons aujourd'hui des doutes sur son caractère authentique.

La visite a été très forte sur le plan émotionnel, et nous en avons aussi pris plein les yeux avec ces paysages de plaine, de montagne et côtiers, absolument magnifiques et eux aussi, extraordinaires. Mais notre sentiment général après ces quelques jours est un profond malaise devant tant de gâchis, ce pays et ce peuple comme éteints. Difficile après avoir vu tout ça d'accepter le succès commercial international de l'icône "Che", et de comprendre ceux qui disent "j'adoooore Cuba"!

Carole et JP

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